July 31, 2020

Promenade dans la peinture au bord de la Lys (Guy Duplat)

News / Event


26/07/2020 > 12/10/2020

Museum van Deinze en de Leiestreek (mudel), museum Dhondt-Dhaenens & Roger Raveel Museum

www.mudel.be


“C’est un choix judicieux de reprendre la vidéo La Chambre que la jeune Chantal Akerman réalisa à New York en 1972. La caméra tourne lentement sur elle-même et explore la chambre et le lit où Chantal Akerman est allongée nous regardant en mangeant une pomme.”


Promenade dans la peinture au bord de la Lys (Guy Duplat)

Septième Biennale de la peinture organisée conjointement par les musées de la Lys : Dhondt-Dhaenens, Roger Raveel et musée de Deinze. Au Dhondt-Dhaenens et au Raveel, une belle plongée dans la force et la diversité de la peinture moderne et contemporaine, sur le thème du « huis clos ».

Article originally published by Guy Duplat Collaborateur culturel La Libre


Près de Gand et de Laethem-Saint-Martin, le village des expressionnistes flamands, coule la Lys. Et en été, c’est un plaisir de se balader à vélo ou à pied sur ses rives, ou de déjeuner sur l’herbe en regardant brouter en face, les vaches aux regards si apaisés.

On peut cumuler ces plaisirs avec ceux de l’art en visitant la Biennale de la peinture organisée par ces trois musées (Dhondt-Dhaenens à Deurle, Raveel à Machelen et musée de Deinze) à l’architecture contemporaine, et géographiquement proches. Il y a seulement 13 km entre eux trois, le long de la Lys. Visiter les trois musées le même jour est très aisé et revient à découvrir une exposition de plus de 200 peintures contemporaines ou modernes d’une cinquantaine d’artistes.

Vue d’une salle du musée Raveel avec la “sculpture” de Jan Vercruysse et deux photographies de Jean -Marc Bustamante – © Dirk Pauwels

Ces Biennales de la Lys confrontent quelques oeuvres anciennes venues des collections des musées, à l’art contemporain et à la découverte de jeunes talents.

Tout n’est pas d’un même intérêt. Cette année l’exposition du musée de Deinze est décevante et on peut se concentrer sur celles très belles des deux autres musées, avec le plaisir d’y redécouvrir les possibilités infinies de la peinture.

Huis clos

Ces musées confrontent leurs propres collections à l’art d’aujourd’hui. Le Dhondt-Dhaenens a une grande collection d’expressionnistes flamands, le musée Raveel est lié à cet artiste dont on fêtera l’an prochain le centième anniversaire de la naissance par une grande rétrospective à Bozar et une exposition à Machelen sur le thème de Raveel et Cie. Le musée de Deinze a une collection d’artistes flamands du XXe siècle, dont Emile Claus et Léon De Smet.

Un thème est choisi pour chaque biennale. Cette année c’est Inner Spaces/Huis clos/ Binnenkamers. C’est-à-dire l’intérieur de nos maisons, l’intimité de l’atelier de l’artiste voire de son « âme », décliné dans des tableaux souvent dénués de figures humaines, où cette absence crée une paradoxale présence forte de la peinture elle-même.

Eric-Emmanuel Schmitt écrivait: que « le bonheur est à l’écart, fait de huis clos, de volets tirés, d’oubli des autres, de murailles infranchissables. »Ce thème du huis clos, décidé avant la pandémie, trouve aujourd’hui une nouvelle force et une autre signification après que chacun ait expérimenté trois mois de confinement dans sa « bulle ». Mais nous avons aussi, tous, constaté que nos intérieurs sont devenus ouverts au monde par la magie d’internet, brouillant les frontières entre nos intimités et la place publique. Longtemps, cela avait été le rôle de la peinture d’être, comme le disait Walter Benjamin, une fenêtre sur le monde, ouvrant le huis clos intérieur vers le grand large.

On peut commencer la visite par le musée Dhondt-Dhaenens et enchaîner ensuite avec le musée Raveel.

Grands travaux au Dhondt-Dhaenens

Un nouveau directeur d’origine suisse, Antony Hudek, est arrivé en février à la tête du Dhondt-Dhaenens et cette Biennale est sa première exposition, réussie par ailleurs. Avant de procéder à la fin de l’année à d’importants travaux de rénovation et d’agrandissement, il profite de ses grandes salles lumineuses pour proposer des ensembles convaincants. autour de quelques artistes.

On y retrouve trois grands tableaux de Luc Tuymans avec des intérieurs vides et fantomatiques, ou un plan fixe sur un carrelage de salle de bain renvoyant au sol du musée lui-même. Le mystère du vide apparent devient la présence de la peinture même.

Luc Tuymans: Interior Nr. III (2010) – © DASC 2019 et Courtesy Zeno X, Anvers

Dans une séries de petits tableaux, le duo Suchan Kinoshita et Olivier Foulon font des variations sur une cigarette peinte par Swennen. Les quasi monochromes de Maaike Schoorel (dont un triptyque sur la Lys) sont d’une grande beauté

Les débarrassant de leurs cadres dorés, le musée montre la modernité des tableaux d’Ensor et Gustave De Smet. On y est plongé dans des salons aux murs couverts de japonaiseries ou de chinoiseries qui étaient à cette époque une manière de sortir du huis clos intérieur vers le monde lointain.

Mélissa Gordon, jeune Américaine née en 1981, entremêle dans sa peinture l’intérieur du musée avec des grilles qui débordent, avec des couches diverses y compris d’objets rajoutés, créant d’autres intériorités.

L’Ecossaise de Bruxelles Lucy McKenzie, évoque par un film et des installations son grand projet de reconstituer les décors intérieurs de la maison De Ooievaart, maison Art Déco d’Ostende. Le Libanais Walid Raad fait lui aussi sortir la peinture de son cadre habituel en reconstituant comme des traces d’un musée absent de Beyrouth.

René Daniëls

Si le Dhondt-Dhaenens ouvre ses portes à des artistes du monde entier comme le très jeune hongkongais Chris Huen Sin Kan et ses grands formats virtuoses sur sa vie quotidienne chahutée, le musée Raveel se concentre sur des artistes surtout belges.

Là aussi c’est la première exposition dans ce lieu -expo très réussie- de la directrice arrivée en janvier, Mélanie Deboutte.

Elle a changé la disposition habituelle des lieux. L’exposition permanente des oeuvres de Roger Raveel a déménagé à l’étage et elle utilise tout le vaste rez-de- chaussée du bâtiment de Stéphane Beel pour explorer le thème du huis clos, de l’intimité de l’artiste.

Un ensemble d’intérieurs de Jan Van Imschoot charme d’emblée. Ce sont des superbes exercices de peinture, remplis d’allusions à l’histoire de la peinture.

Jan Van Imschoot: Living without a kiss (2009) – © Collection privée

Le Hollandais René Daniëls qui eut en 2018 sa rétrospective au Wiels, montre des variations sur la figure d’un noeud papillon qu’il introduisit dans ses oeuvres en 1984, formant un espace d’exposition vu en perspective, voire rappelant les volets hollandais. Cela deviendra un motif récurrent dans ses peintures, donnant sur un espace bleu (celui de la mer et des rêves?), sur un arrière-fond vaporeux évoquant le statut ambigu de l’image, entre réel et impossible représentation.

Chantal Akerman

Mélanie Deboutte a interprété l’idée de peinture au sens large. Elle montre ainsi une formidable installation de Lili Dujourie Between Black and Pink (1986), un cube aux parois intérieures couvertes de miroirs ouvrant sur l’infini et entouré par la présence sensuelle de tissus et de couleurs.

Plus loin, on découvre un immense objet sculptural de Jan Vecruysse, Kamer III (1985) en bois d’acajou, archétype de l’atelier de l’artiste, un intérieur qui attire et repousse à la fois, inaccessible comme l’âme de l’artiste.

Pour cette exposition, Valérie Mannaerts a créé une sorte d’immense peignoir ou cuirasse, hommage à toutes les femmes.

On y retrouve aussi deux « intérieurs » de Philippe Van Snick datant de 1968, réduits à leurs formes sculpturales abstraites, l’un, enveloppé de tissus blancs, l’autre, de grillages.

C’est aussi un choix judicieux de reprendre la vidéo La Chambre que la jeune Chantal Akerman réalisa à New York en 1972. La caméra tourne lentement sur elle-même et explore la chambre et le lit où Chantal Akerman est allongée nous regardant en mangeant une pomme. Une suite de longs plans flous, d’immobilité, de minimalisme, mais aussi une tension sensuelle d’autant plus perceptible que rien ne s’y oppose dans une éventuelle narration. On devient acteur du temps qui passe, on entre dans l’intimité de la chambre même, on participe à ses émotions.

Chantal Akerman: La Chambre, 1972 © collection Muhka

Le jeune peintre croate Vedran Kopljar interprète encore autrement le thème de « l’intérieur» en peignant l’ultime frontière: des portraits de l’intérieur de nos corps, comme ces images sorties d’une endoscopie, comme prises dans nos cicatrices.

On y voit encore comment Jean-Marc Bustamante s’empare de photographies trouvées d’intérieurs d’usines pour en faire des images diaphanes et rêveuses ou comment Raoul De Keyser avait peu peu à peu épuré ses dessins jusqu’à toucher à l’essentiel avec des choses infimes.

Le musée de Deinze n’atteint pas du tout ces mêmes émotions en voulant explorer dans l’art ancien, moderne et chez de jeunes artistes contemporains (Olga Federova, Bendt Eyckermans, Sarah De Vos, Joëlle Dubois, Kristof Van Heeschvelde) comment nos vies privées et nos intérieurs sont influencés par la société, par l’extérieur.

Jusqu’au 18 octobre avec un guide du visiteur en français, ouvert du mardi au dimanche de 10h à 17h au Dhondt-Dhaenens et à Deinze et de 11 h à 17h au Raveel.

Infos : www.museumdd.bewww.rogerravelmuseum.bewww.museumdeinze.be

 

Publié le 26-07-20 à 09h27 dans Arts & Expos par Guy Duplat
Ingénieur civil physicien de formation (ULB), Guy Duplat a travaillé cinq années chez Traction-Electricité. Il a ensuite intégré la rédaction du journal Le Soir, où il a été journaliste politique et chef de la rubrique Politique, puis rédacteur en chef de 1990 à 2000. Cette année-là signe son passage à La Libre Belgique, où il a dirigé le service Culture, jusqu’en 2015. Il est aujourd’hui collaborateur culturel (art, architecture, design, scènes, livres). Guy Duplat est l’auteur des livres “Une vague belge” (Racine, 2005) et “Particules de vie. Conversation avec François Englert” (Renaissance du livre, 2014, coécrit avec Françoise Barré).